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Depuis un certain temps juristes et constitutionnalistes agitent l’opinion sur la question relative à la fin de mandat du président de la République. Deux dates sont en discussion. Un groupe en majeure partie composée d’opposants au président Jovenel Moïse soutient la date du 7 février 2021. L’autre groupe proche du pouvoir en place est convaincu que le président de la République doit laisser le pouvoir le 7 février 2022. A l’université, ce type de débats contradictoires fait le délice des professeurs-chercheurs et des étudiants.
Les passions et les arguments s’affrontent. La logique partisane veut quel que soit le point de vue exprimé dans un tel débat on sera catalogué dans un camp ou dans l’autre. C’est à croire qu’il n’y a pas vraiment de place pour la neutralité. En principe, l’universitaire quand il est engagé dans un débat, ne cherche ni à plaire ni à se complaire. Le devoir de son statut l’oblige à exprimer une position qui répond à une rigueur scientifique, le plus possiblement objective.
Dans ce débat, j’ai été séduit par deux articles de deux éminentes personnalités qui par la rigueur de leur réflexion se sont imposés dans la discipline juridique. Il s’agit de Me Sonet SAINT-LOUIS et Mme Mirlande MANIGAT. Le premier a écrit un texte titré « Le temps présidentiel en Haïti » et la deuxième « Par la raison et pour la loi ». Les deux textes semblent administrés la preuve que le mandat du président prendra fin le 7 février 2021. A les lire j’ai comme l’impression que les deux auteurs ne se sont pas souvenus de l’intégralité des faits qui ont marqué les élections de 2015 et 2016. En ce sens, il faudrait peut-être une piqûre de rappel.
Le processus électoral a été initié en 2015. Un premier scrutin s’est tenu le 9 août, c’était l’élection pour le renouvellement d’un tiers du Sénat et la Chambre des députés. Le 25 octobre 2015, le scrutin a été organisé pour le second tour des élections du 9 août puis le premier tour de la présidentielle et les locales. Après la proclamation des résultats de la présidentielle deux candidats étaient arrivés au second tour. Cependant, à cause des accusations de fraudes pour lesquelles on avait trouvé des qualificatifs peu flatteurs de nombreuses et massives, le second tour n’a pas eu lieu. Entretemps le mandat du président Martelly est arrivé à terme. Il avait prêté serment le 14 mai 2011 mais peu importe car la Constitution de 1987 amendée est claire son mandat est censé avoir commencé le 7 février de l’année de son élection. Pour rappel, le président Michel Martelly était élu le 20 mars 2011. Le 7 février 2016, le président Michel Joseph Martelly a donc remis le pouvoir et suite à une élection inconstitutionnelle réalisée au second degré par les parlementaires au niveau du Sénat de la République, le président du Sénat d’alors, Jocelerme Privert, a été élu par ses pairs. Il avait en face de lui deux autres candidats, il s’agissait de Dejean Bélizaire et Edgard Leblanc Fils.
Parvenu à la plus haute magistrature de l’Etat, on attendait à ce que Jocelerme Privert poursuive le processus électoral initié en 2015 en organisant le second tour de l’élection présidentielle dans le délai constitutionnel pour remettre le pouvoir au président élu. Ce dernier aurait prêté serment immédiatement après la validation du scrutin selon le vœu de l’article 134-2 de la Constitution de 1987 amendée et son mandat serait réputé avoir commencé le 7 février 2016. Il aurait perdu quelques mois de son mandat mais on n’aurait pas eu de problème d’harmonisation du temps constitutionnel et du temps électoral.
Selon l’article 134-1 : « La durée du mandat présidentiel est de cinq (5) ans ». C’est sans équivoque. A l’article suivant le législateur ne se contredit pas au point de réduire à quatre (4) ans le mandat présidentiel, non. Mais il concède qu’un retard peut intervenir au cours d’un processus, comme c’était le cas lors de l’élection de Michel Martelly, et que de toute manière le président élu entrerait en fonction l’année de son élection. Cependant, ce qui s’est passé en 2016 répond à une logique politicienne à l’haïtienne car au lieu d’organiser un second tour, le président Privert avait carrément annulé le processus de 2015. Il lança un nouveau processus électoral faisant ainsi droit aux recommandations d’une commission créée par lui pour évaluer les élections de 2015. Au final, le nouveau scrutin s’est donc tenu le 20 novembre 2016.
Le mardi 3 janvier 2017, Jovenel Moïse a été confirmé président élu d’Haïti avec 55,60 % des suffrages au premier tour. 2017, a été donc l’année de l’élection du président Moïse et comme le veut la Constitution en vigueur le président élu est entré en fonction le 7 février 2017, son mandat prendra fin le 7 février 2022.
Dans son texte, d’une suprême élaboration comme à son habitude et par surcroit agrémenté de solides référents historiques, Madame Manigat reconnaît que les élections ont été annulées mais elle précise et je cite : « l’annulation d’un évènement n’affecte pas sa nature, sa réalité ni ses conséquences ». Que veut dire la constitutionnaliste à travers cette phrase lapidaire ? Dois-je croire par-là que si un match de football a été annulé, l’équipe qui menait au score obtient quand même les trois points. Mettons qu’il s’agit d’une finale, dois-je croire que si la finale est annulée l’équipe qui menait au score sera quand même sacrée championne et donc il lui sera décerné le trophée. La constitutionnaliste semble oublier qu’en droit l’annulation d’un acte juridique entraîne l’anéantissement rétroactif dudit acte. Serait-elle en train de nous dire le contraire.
L’annulation des élections de 2015 a été la grande erreur qui invalide la thèse selon laquelle le mandat du président Jovenel Moïse prendra fin en 2021. A cette erreur s’ajoute une deuxième, celle d’entériner la victoire du gagnant et donc l’élection du nouveau président en janvier 2017 et d’attendre le 7 février 2017 pour sa prise de fonction afin de respecter, au moins pour une fois, la lettre de la Constitution qui précise que : « Le mandat du président est de cinq ans. Cette période commence le 7 février suivant la date des élections ».
Contester aujourd’hui le mandat du président de la République est tout simplement aberrant, c’est vouloir causer des souffrances inutiles à la population en alimentant l’instabilité politique qui ne fait que ruiner notre économie et nous plonger davantage dans la misère et le déshonneur.
Bien évidemment, étant engagé dans un combat politique, c’est ingénieux de créer une telle confusion, il faut le reconnaître. D’autre en plus que pour convaincre l’international il faut disposer d’arguments juridiquement solides sachant que cette communauté internationale est friande de ce genre d’argumentation. Tout compte fait, ce débat n’est autre qu’un son de trompette qui annonce la prochaine crise, le prochain lock, les prochaines violences. Alors Préparons-nous à l’impact.
Dr. Ricardo AUGUSTIN
Juriste et politologue